C’est bien connu, s’il y a une chose qui ne vaut pas la peine qu’on en débatte, c’est le goût qui, à l’instar des couleurs ne se discute pas. Pas de quoi donc en faire une émission de radio. Or, s’il apparaît selon cet adage comme le siège même de la subjectivité, le goût est une compétence sensorielle qui s’exerce essentiellement dans le cadre d’un rituel collectif, partagé : celui du repas, ce qui fait de lui un sens éminemment social.
La table est en effet un haut lieu d’apprentissage des normes, des codes et des valeurs propres à une société, que l’on songe aux manières de s’y tenir, de se servir, à la sélection des aliments et aux interdits qu’elle génère, ou encore à la façon de les couper, de les porter à sa bouche… Et que dire de la préparation même des repas, la cuisine, pratiquée souvent dans la pièce éponyme, et du partage sexué des rôles sociaux qu’elle induit? Les anthropologues ne s’y sont pas trompés, qui de Claude Lévi-Strauss à Jack Goody ont observé les sociétés à travers leurs façons de manger quand Pierre Bourdieu a montré qu’elles constituaient des pratiques de distinction. Les goûts eux-mêmes ressortissent à l’ordre du biologique comme du culturel, et sont susceptibles d’évoluer sous l’effet des changements sociaux. C’est ce que montrent les historiens étudiant l’acclimatation de la cuisine exotique en Europe par exemple, ou encore les changements des régimes de saveurs sous le poids de l’industrie agroalimentaire promouvant des produits de plus en plus sucrés et modifiant sinon nos palais du moins nos modes d’appréciation des aliments. Car si le goût est source de plaisir, son exercice quotidien correspond à un besoin vital – se nourrir – si bien que les goûts des consommateurs soulèvent des enjeux économiques majeurs.
Objet d’analyse des sciences humaines et sociales, le goût affecte en retour les sciences du vivant en déterminant par exemple une sélection des espèces et des races au risque de modifier l’équilibre des écosystèmes. Il mobilise de fait des questions éthiques liées aux rapports entre l’homme et l’environnement et plus spécifiquement entre l’homme et l’animal.
Pour évoquer ces questions, nous recevons Stéphane Le Bras, historien spécialiste du vin.
Stéphane Le Bras est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Clermont Auvergne.
Les documents sonores
Interview de Cécile Bord, ingénieur d’études en évaluation sensorielle à l’INRA
En introduction de l’émission, Cécile Bord évoque les différentes saveurs primaires qui composent le sens du goût, ainsi que les autres sens qui viennent compléter ces premières informations.
Lecture du texte de Jean-Marie Gustave Le Clézio
Ce texte figure en ouverture de son roman Ritournelle de la faim publié chez Gallimard en 2008 (texte lu par Jean Landon).